Linhart, Danièle

Quand l’humanisation du travail rend les salariés malades - 2015.


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Cet article cherche à mettre en évidence que le management moderne a gardé une des dimensions essentielles du taylorisme : la disqualification de la professionnalité des salariés, pour désamorcer toute légitimité de leur part à vouloir marquer de leur empreinte l’organisation de leur travail. Cette continuité est occultée par le fait que le management moderne revendique une humanisation du travail, met en scène des hommes et des femmes avec leurs affects, leurs émotions, leurs désirs, et prétend gérer, sur une base strictement individualiste, leurs forces comme leurs faiblesses. Pour cela, il recourt à deux orientations stratégiques : une offre éthique, idéologique et narcissique destinée à convaincre et séduire les salariés, d’un côté ; une précarisation subjective via la pratique du changement permanent pour les affaiblir et les conduire à s’en remettre aux outils de gestion pensés pour eux dans le cadre d’une recherche de rentabilité à court terme, de l’autre. Cette déstabilisation subjective précipite les salariés dans une quête exacerbée de réalisation de soi selon une logique qui exige qu’ils fassent un usage d’eux-mêmes strictement conforme aux méthodes et objectifs qui les dominent. This article seeks to show that modern management has retained one of the essential dimensions of Taylorism : the disqualification of the professionalism of employees in order to remove any legitimacy on their part in wanting to leave their imprint on the organization of their work. This continuity is hidden by the fact that modern management calls for a humanization of work, depicts men and women with their affects, their emotions, and their desires, and claims to manage, on a strictly individualistic basis, both their strengths and their weaknesses. To do this it has recourse to two strategic orientations : an ethical, ideological and narcissistic offer aimed at convincing and seducing the employees on the one hand ; and a subjective insecurity created by the practice of permanent change in order to weaken them and to lead them to rely on management tools conceived for them in the framework of a quest for short-term profitability on the other. This subjective destabilization launches the employees into an exacerbated quest for self-realization according to a logic that requires them to conduct themselves in strict conformity with the methods and objectives that dominate them.